“La moitié de l’écart salarial entre les femmes et les hommes cadres ne peut s’expliquer par les caractéristiques de l’emploi occupé. En 2018, la rémunération médiane des hommes cadres était 16% supérieure à celle des femmes et un écart de 8% subsiste si l’on compare les rémunérations des hommes et des femmes occupant les mêmes postes et ayant les mêmes caractéristiques.” – Étude Apec, « Les écarts de salaires femmes-hommes chez les cadres », février 2020.
Alors que les femmes sont plus nombreuses à accéder aux études supérieures que les hommes, leur place sur le marché du travail reste fragile. À fonction et missions similaires, l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes cadres ne se résorbe pas, et tend au contraire à s’accentuer au fil de la carrière professionnelle.
Dans cet article, découvrez un état des lieux des écarts de salaire entre les femmes et les hommes cadres en France.
Différence d’emploi occupé : une piste pour expliquer l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes cadres
“Les femmes voient l’évolution de leur rémunération ralentir au fur et à mesure de l’avancée de leur carrière. Les femmes cadres occupent moins souvent des postes de responsables hiérarchiques et lorsqu’elles accèdent aux postes à responsabilité, l’écart de rémunération par rapport aux hommes est encore plus important.” – Étude Apec, “Les écarts de salaires femmes-hommes chez les cadres”, février 2020.
En 2018, les femmes cadres, tous secteurs confondus, ont gagné en médiane environ 16% de moins que leurs homologues masculins. Bien que cet écart tende à se stabiliser ces dernières années, il doit être nuancé dans la mesure où il n’illustre pas parfaitement le principe de l’égalité salariale posée dans la loi : “à travail égal, salaire égal”. Pour comprendre cet écart de rémunération entre femmes et hommes cadres, il faut s’intéresser à la nature même de l’emploi occupé par les femmes et les hommes au sein de l’entreprise, qui explique en partie ces différences. En effet, les femmes et les hommes n’occupent pas les mêmes emplois, les hommes étant surreprésentés dans les fonctions les plus rémunératrices (comme l’informatique où profils juniors et expérimentés sont très courtisés, ou encore la production industrielle secteur qui souffre d’une réelle pénurie de main-d’oeuvre sur le marché).
Selon l’étude Apec “Les écarts de salaires femmes-hommes chez les cadres” publiée en février 2020, les hommes suivraient plus fréquemment des formations supérieures menant aux rémunérations les plus élevées. Par ailleurs, ces derniers sont aussi en moyenne plus âgés que les femmes cadres et ont davantage de responsabilités hiérarchiques, comme la gestion d’une équipe, d’un service ou d’un budget. Ainsi, mécaniquement leur rémunération est, de fait, plus élevée que celles des femmes cadres.
Qu’est-ce que l’écart de salaire « à profil identique » ?
Les effets structurels sur l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes peuvent être en partie neutralisés par le principe du “salaire égal à profil identique”. Ainsi, “toutes choses égales par ailleurs”, et donc à profil identique, les hommes cadres gagnent 8% de plus que les femmes cadres. Cet écart ne s’explique pas uniquement par le type d’emploi ou de métier occupé, mais tient principalement sa source dans des caractéristiques individuelles difficilement observables, voire non observables pour certaines : situation familiale, discriminations, etc. Cet écart dit “à profil identique” est relativement stable depuis 2013.
La méthode ANOVA : un modèle statistique pour mesurer les écarts
Selon l’étude Apec précédemment citée, l’écart de rémunération entre les hommes et les femmes proviendrait ainsi en partie du fait qu’ils n’occupent pas le même type de poste, en matière de secteur, de fonction, d’ancienneté, mais aussi de responsabilité hiérarchique.
D’après une étude eurodecision.fr, il existe plusieurs méthodes pour mesurer les écarts de salaires hommes-femmes, mais le principe reste toujours le même: mesurer les écarts à caractéristiques équivalentes, donc à coefficients, âges, anciennetés, diplômes, égaux.
Ainsi, pour calculer un écart de salaire “à profil identique” ou “toutes choses égales par ailleurs”, il est nécessaire de procéder à une modélisation statistique. La méthode ANOVA, développée sur ce principe, est utilisée en entreprise pour mesurer les écarts de salaires en interne en se basant sur des critères précis et tangibles.
La méthode ANOVA décompose ainsi la rémunération en une multitude de facteurs explicatifs que les différents tests déterminent comme étant significatifs ou non, et ce via une équation globale tenant compte des différents éléments. Cette méthode statistique permet ainsi de neutraliser les effets de structures et raisonne sur la base de caractéristiques communes aux femmes et aux hommes, c’est-à-dire, “à profil identique”.
Le modèle est alors en mesure de déterminer pour chaque femme de l’échantillon, le salaire “théorique” qu’elle aurait dû toucher si elle avait été un homme, et ce d’après les multiples caractéristiques de l’emploi occupé par cette dernière (fonction, secteur, région, etc.), mais aussi les informations personnelles de l’individu (âge, ancienneté, etc.). Ces écarts théoriques de salaires permettent ensuite de déduire l’écart global à caractéristiques égales.
Des écarts accentués par des parcours professionnels différents
“À profil équivalent, si l’écart salarial entre les femmes cadres et les hommes cadres est de 7% dans les entreprises de 1 000 salariés et plus, il s’élève à 10% dans celles de moins de 20 salariés. Les femmes cadres sortant de filières d’ingénierie et de niveau Bac +5 connaissent par ailleurs moins d’écarts salariaux. – Étude Apec, “Les écarts de salaires femmes-hommes chez les cadres”, février 2020.
À leur entrée sur le marché du travail, les hommes cadres de moins de 30 ans gagnent 5% de plus que les femmes. Ainsi, dès le démarrage de leur carrière professionnelle, les femmes et les hommes cadres ne connaissent pas les mêmes évolutions de salaire et les écarts entre les deux sexes se creusent. L’étude Apec met en lumière une progression salariale moins rapide pour les femmes que pour les hommes. En outre, entre les moins de 30 ans et les plus de 50 ans, le revenu médian augmente de 20 000 € pour les hommes cadres, mais de seulement 10 000 € pour les femmes cadres.
Les femmes cadres et le “plafond de verre”
Les femmes se heurtent à un “plafond de verre” très rapidement dans leur carrière professionnelle. Elles sont sous-représentées dans les fonctions hiérarchiques, d’après l’enquête menée par l’Apec, si elles représentent 35% des effectifs cadres, elles représentent seulement 31% des managers et 25% des postes dans des fonctions de direction d’entreprise. Par ailleurs, même lorsqu’elles parviennent à percer le plafond de verre, les femmes restent encore pénalisées : à profil identique, l’écart de rémunération entre hommes et femmes occupant des postes similaires de responsables hiérarchiques est de 10%. Enfin, l’écart se creuse tout au long de la carrière, ainsi les hommes cadres de plus de 50 ans gagnent un salaire 25% supérieur à celui d’une femme cadre de même âge.
Le déséquilibre salarial entre les femmes et les hommes s’accentue au fil du temps
L’écart de rémunération augmente au fur et à mesure de la carrière. Dans le parcours professionnel des femmes, l’âge de la maternité semble être un moment charnière qui impacte sensiblement leur rémunération. Ainsi, l’arrivée des enfants ne réduit pas directement le taux d’activité des femmes ayant les salaires les plus élevés, mais réduit néanmoins leur nombre d’heures travaillées, et par conséquent leur salaire horaire les premières années suivant la maternité.
“Une enquête Insee réalisée sur une période de dix ans a permis d’identifier et de quantifier les réelles répercussions d’une naissance sur le salaire, et notamment sur celui des femmes, premières lésées. En effet, l’Insee est parvenu à démontrer que les femmes ayant eu un enfant gagnent moins que celles au profil identique, et qui potentiellement auraient connu la même évolution salariale, mais qui elles n’ont pas eu d’enfant. Les mères subissent des pertes de revenus de l’ordre de 25% en moyenne, cinq ans après la naissance, par rapport à une situation où elles n’auraient pas eu d’enfant” explique Fabien Lucron, expert en rémunération variable et directeur du développement du cabinet Primeum dans un article analysant l’impact de l’arrivée d’un enfant sur le salaire.
Les femmes s’investissent davantage dans les tâches domestiques et familiales que les hommes
Au regard des responsabilités familiales qui pèsent majoritairement sur leurs épaules, les femmes ont davantage de difficultés à concilier vie professionnelle et vie privée. Cette flexibilité réduite par rapport à certains hommes dans la même situation professionnelle, mais relativement moins investis dans la vie familiale et du foyer, pénalise directement l’évolution salariale des femmes. En 2007, l’Apec constatait déjà dans une étude que les femmes cadres avaient conscience que leurs homologues masculins étaient davantage privilégiés dans leur carrière, car “plus disponibles”.
Cette discrimination liée à l’apparente “disponibilité” des femmes et des hommes est également pointée du doigt dans le recrutement de managers. En effet, lorsqu’il est question de choisir un jeune candidat à un poste de manager, d’après une étude expérimentale réalisée dans le secteur financier et relayée par l’Apec, les femmes de 25 ans sans enfants auraient moins de chance d’être embauchées en tant que manager que les hommes sans enfants, ce qui n’est plus le cas à un âge plus avancé. « La naissance d’un enfant coïncide avec une baisse de salaire chez les mères, mais pas chez les pères » rappelle Fabien Lucron dans un article primeum.com citant une étude Insee « Entreprises, enfants : quels rôles dans les inégalités salariales entre femmes et hommes ? » publiée le 10 octobre 2019.
L’expert en rémunération variable dénonce également une inégalité de l’impact sur la carrièrede l’arrivée d’un enfant. Ainsi selon Fabien Lucron, “les femmes aux revenus les plus élevés sont moins impactées que celles aux salaires plus faibles, mais ne sont pas pour autant épargnées par l’arrivée d’un enfant. En comparant l’évolution professionnelle des mères et des pères, l’étude a mis en évidence que dans aucun scénario les hommes ne souffraient d’une diminution de leurs revenus. Au contraire, selon l’Insee, les pères situés en haut de la fourchette de distribution des salaires, et appartenant aux 5% des salariés les mieux payés, creusent l’écart vis-à-vis de leurs homologues féminines » (source : Quel impact l’arrivée d’un enfant a-t-elle sur le salaire ?).
Quels sont les facteurs qui réduisent les écarts salariaux ?
“Certaines entreprises, majoritairement les plus grandes, n’ont cependant pas attendu la mise en place de cet index pour analyser et mesurer les inégalités salariales. Lorsque c’est le cas, des diagnostics détaillés en matière d’écart de salaires permettent de réduire les écarts individuellement tout en luttant contre les différences de salaire non justifiées entre les femmes et les hommes.” – Étude Apec, “Les écarts de salaires femmes-hommes chez les cadres”, février 2020.
Au moment de l’embauche et de la négociation salariale, le modèle de fonctionnement des grandes entreprises peut jouer légèrement au profit des femmes cadres. Selon l’Apec, à profil identique, un homme cadre en poste dans une entreprise de plus de 1 000 salariés gagne 7% de plus qu’une femme cadre. Cet écart de rémunération atteint 10% pour les entreprises de moins de 20 salariés. Ainsi, l’écart serait moins important dans les grands groupes en raison notamment de la présence d’un service de ressources humaines, mais également de l’obligation de formalisation d’accords relatifs à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Dans les entreprises de plus de 50 salariés, ces différents accords participent à l’amélioration de l’égalité salariale et jouent un rôle certain dans la réduction des écarts salariaux.
Les recruteurs des plus grandes entreprises sont davantage sensibilisés à la question de l’égalité salariale
Les entreprises de plus de 300 salariés ont l’obligation de former leurs recruteurs à la non-discrimination. La formation est principalement destinée à sensibiliser les professionnels RH à non-discrimination à l’embauche, mais permet également de soulever les questions d’égalité salariale et de réfléchir à une politique salariale équitable entre femmes et hommes au moment de l’embauche.
Dans les grandes entreprises, l’existence d’un service RH et de grilles salariales participe à la réduction des écarts de rémunération. Information et sensibilisation des managers sur la question, mais aussi réalisation de diagnostics concrets participent à faire émerger ce problème d’écart de salaire.
Les actions restent plus limitées dans les petites structures
En l’absence d’un service des ressources humaines, les petites structures de moins de 50 salariés peinent à analyser et répondre à cette problématique. Dorénavant, les entreprises de plus de 50 salariés ont l’obligation de calculer un index d’égalité professionnelle. Si l’entreprise n’atteint pas le score de 75, elle s’expose à des sanctions financières non négligeables.
Selon le site officiel servicepublic.fr, en cas d’index inférieur à 75 points, l’entreprise doit mettre en place des mesures correctives pour atteindre au moins ce seuil dans un délai de 3 ans. Ces mesures doivent être définies dans le cadre de la négociation obligatoire sur l’égalité professionnelle, ou, à défaut d’accord, par décision unilatérale de l’employeur et après consultation du CSE.
En cas de non publication de son index, de non mise en œuvre de mesures correctives ou d’inefficience de celles-ci, l’entreprise s’expose à une pénalité financière pouvant aller jusqu’à 1% de sa masse salariale annuelle.
Alors que le principe “à travail égal, salaire égal” est gravé dans la loi française depuis plus de 48 ans, en France, en 2020, les femmes restent encore moins bien payées que les hommes, souffrant en moyenne d’un écart de salaire de 25% avec leurs homologues masculins.
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