Erreurs recrutement

Syndrome du scarabée & recrutement : le comprendre et le combattre

Le syndrome du scarabée désigne un biais cognitif particulièrement fréquent dans le monde de l’entreprise. Mais cette désignation si bucolique…

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Le syndrome du scarabée désigne un biais cognitif particulièrement fréquent dans le monde de l’entreprise. Mais cette désignation si bucolique cache des pratiques discriminatoires aussi inadmissibles que délétères. À quoi reconnaît-on ce phénomène et que peut-on mettre en place pour s’en défaire ? Portrait d’un syndrome et de ses antidotes.

 

A l’origine : une étude biologique qui démontre une impitoyable technique de survie de certaines espèces de scarabées

Tout commence dans les années 1950 et 1960 lorsque des chercheurs de l’Université de Chicago, dirigés par le célèbre zoologiste Thomas Park décident de répondre à deux questions : pourquoi les espèces de coléoptères ne cohabitent-elles pas ? Et est-ce celle qui est la mieux adaptée à son environnement qui survit le mieux ? Pour résoudre cette énigme, les scientifiques enferment deux couples de scarabées dans un environnement clos.

Après de longues observations, les entomologistes découvrent que les coléoptères ne sont pas uniquement friands de leurs propres œufs, qu’ils dévorent sans ménagement, mais qu’ils raffolent encore plus de ceux des autres. En réalité, les scarabées profitent de leur gloutonnerie pour faire disparaître les autres coléoptères en supprimant leur descendance. Les chercheurs en concluent donc que l’espèce qui a le plus de chances de survie est celle qui favorise ses semblables au détriment des autres.

 

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Ce résultat surprenant fut à nouveau étudié, quelques décennies plus tard, par deux économistes de renom, George Akerlof (prix Nobel d’économie en 2001) et Pascal Michaillat, professeur d’économie à l’Université Brown. Les deux économistes s’aperçoivent que les scarabées ne sont pas les seuls à adopter un comportement aussi impitoyable : le monde de la recherche scientifique en fait régulièrement les frais. En effet, les scientifiques de haut niveau ont tendance à favoriser les jeunes chercheurs adhérant à leurs théories. L’histoire est ainsi émaillée d’exemples de ce type, à l’instar de Copernic, dont personne ne croyait à la théorie héliocentrique. Mais au-delà du cercle restreint des chercheurs, un autre secteur semble touché de plein fouet par le syndrome du scarabée : le monde de l’entreprise.

 

Le syndrome du scarabée adapté à l’entreprise : l’homophilie, cet insidieux poison

Georges Akerlof et Pascal Michaillat expliquent dans leurs publications que ce qu’on appelle le « syndrome du scarabée », que l’on désigne aussi par le terme savant d’ « homophilie », est un biais cognitif récurrent dans le monde professionnel. Selon eux, force est d’admettre que les décideurs favorisent très souvent les collaborateurs qui leur ressemblent le plus, que ce soit dès l’embauche ou au moment d’accorder une promotion.

Par ailleurs, le syndrome du scarabée semble davantage frapper les organisations de grande envergure et multinationales, à la hiérarchie importante et aux grandes équipes. Les recruteurs, les managers et les dirigeants d’entreprise agissent fréquemment dans l’intérêt du groupe dominant en favorisant les individus qu’ils jugent les plus proches d’eux. Les critères retenus peuvent être les diplômes, l’âge, le sexe, la classe sociale, l’origine ethnique voire même des fondements plus prosaïques comme l’appartenance à un club ou une association sportive.

L’homophilie, cet insidieux poison si répandu, est également un véritable tabou que peinent à reconnaître la plupart de ceux qui en sont atteints. Pourtant, si le syndrome du scarabée permet à de nombreuses personnes d’évoluer plus facilement que d’autres dans leur carrière, elle nuit à de nombreux professionnels qui voient leurs compétences dénigrées en raison de leur non-appartenance au groupe dominant.

 

Les victimes du phénomène de l’homophilie

Parmi les principales victimes du syndrome du scarabée se trouvent, sans surprise, les femmes, les seniors ainsi que les jeunes actifs de quartiers défavorisés ou sans expérience. Et pour cause, comme l’expliquent les deux économistes, les entreprises dirigées par des hommes sont les plus excluantes. C’est la raison essentielle pour laquelle ces mêmes personnes sont le plus souvent victimes d’inégalités de salaires et de difficultés à obtenir des hausses de rémunération et des promotions. Le groupe dominant, majoritairement masculin et appartenant à la même élite sociale et économique, rejette facilement les collaborateurs jugés différents.

L’homophilie, en plus d’être une source de discrimination, a des conséquences très concrètes sur l’économie. Le Forum économique mondial estime ainsi que l’égalité salariale entre les sexes ne pourra pas être atteinte avant la fin du XXIe siècle. Les victimes de ce biais cognitif paient ainsi très cher leur différence d’avec leurs supérieurs hiérarchiques.

Mais il n’est guère nécessaire d’afficher une différence flagrante avec le groupe dominant de l’entreprise pour souffrir de rejet. Des dissemblances plus discrètes, et qu’on pourrait, au contraire, considérer comme des qualités, peuvent suffire à être exclu de l’assemblée des privilégiés. Ainsi, une créativité débordante, une personnalité charismatique, un diplôme supérieur à celui de son manager ou un parcours atypique peuvent être autant de raisons d’être mis à l’écart. Car pour les décideurs atteints du syndrome du scarabée, seule compte l’homogénéité du groupe.

 

L’homogénéité des profils : une harmonie en trompe-l’œil

Alors que l’excellence devrait être le critère de sélection prioritaire pour les décideurs, d’autres préfèrent protéger l’homogénéité des profils de leur entreprise avec l’espoir de conserver une harmonie. Pourtant, quand tous les collaborateurs se ressemblent, l’entreprise s’en trouve très vite sclérosée. Sur le long terme, l’absence de débats contradictoires, d’idées nouvelles et le refus de se remettre en question ont pour conséquence une créativité diminuée et des difficultés à innover. Les performances s’en trouvent ralenties et entravées.

À vouloir être tous pareil, les managers qui ne sélectionnent que leurs semblables construisent des équipes cloisonnées, emprisonnées dans une vision unique et victime d’une politique managériale foncièrement toxique. L’absence de valorisation des compétences entraîne un turn-over important, profondément néfaste pour l’entreprise. De plus, le manque de mixité sociale, culturelle et de genre empêche de convaincre et de fidéliser les talents.

Sans diversité intrinsèque, une entreprise bascule inévitablement dans l’hyperspécialisation et peine à se renouveler. Elle prend le risque certain d’être dépassée par des organisations plus souples, riches de leur hétérogénéité et épargnées par ce biais cognitif, résolument mortifère. Mais au-delà des performances générales, le syndrome du scarabée n’encourage pas à pratiquer la tolérance, la curiosité, le respect mutuel et la bienveillance. Les salariés ont plus de risques de souffrir au travail en raison d’un manque de stimulation, d’ouverture sur le monde et les autres et d’un sentiment d’enfermement très marqué. La motivation, la productivité et le bien-être sont ainsi mis à mal.

L’art de favoriser ceux qui nous complètent plutôt que ceux qui nous ressemblent

Comment, alors, s’affranchir de ce biais cognitif et éviter de se comporter comme des coléoptères prêts à tout pour sauvegarder le groupe dominant ? La première des choses à faire est de prendre conscience de cette réalité et d’accepter qu’elle puisse frapper toutes les entreprises, et d’abord la sienne. Il est important de rappeler que l’homophilie est d’abord un phénomène naturel qui concerne de nombreuses espèces. Admettre qu’en tant que décideur, manager ou responsable des ressources humaines on a potentiellement exclu une personne parce qu’elle était différente est le premier pas vers la guérison du syndrome du scarabée.

Dans un deuxième temps, il paraît essentiel d’évaluer la nature de ses effectifs et de vérifier qu’ils ne soient pas trop homogènes. Si c’est déjà le cas, il est alors important de réagir et de mettre en place des mécanismes qui puissent enrayer le phénomène. Tout commence par la mise en place de décisions collégiales. Plus il y a de personnes consultées pour prendre des décisions, moins il y a de risques que l’homophilie ne triomphe. Lors d’un entretien d’embauche, le responsable des ressources humaines et/ou du recrutement peut, par exemple, faire intervenir le futur manager du candidat. Les entretiens annuels peuvent également rassembler plusieurs responsables pour garantir des échanges plus libres et constructifs.

Dans le même esprit, il est important de veiller à ce que les comités d’entreprise incarnent la diversité de la société et de l’entreprise et que le dialogue entre les représentants du personnel et les décideurs soit le plus optimal possible. L’enjeu est d’autant plus important s’agissant des grandes entreprises aux effectifs particulièrement fournis.

Enfin, il existe des outils très concrets qui protègent la diversité et luttent contre l’homogénéité. En France, plus de 40 000 entreprises ont ainsi signé la Charte de la diversité qui favorise la diversité ethnique, d’âge, de genre, d’orientation sexuelle, ou encore de handicap, qui sensibilise les dirigeants et les décideurs à la lutte contre la discrimination, et qui contribue aussi à une meilleure parité en entreprise ainsi qu’à la communication entre collaborateurs. L’enjeu de la Charte de la diversité est de promouvoir le dialogue entre les collaborateurs pour lutter contre toute forme de discrimination.

Le syndrome du scarabée, s’il est plus répandu que ce que l’on voudrait croire, n’est pas une fatalité. En entreprise, les décideurs peuvent décider de s’affranchir de ce biais cognitif particulièrement néfaste en adoptant des stratégies et des fonctionnements basés sur l’éthique et pensés pour lutter contre la discrimination. Car si favoriser ceux qui nous ressemblent peut paraître rassurant, sortir de sa zone de confort est indispensable pour rester performant et contribuer à une entreprise saine et équilibrée.

 

Quelques solutions pour lutter contre le syndrome du scarabée

Le CV anonymisé est une base très pratique pour retirer l’état civile d’un CV et éviter toute discrimination avant l’entretien. Mais son déploiement nécessite un ATS qui intègre ce genre de fonctionnalité afin de retraiter automatiquement chaque CV sans nuire à l’expérience candidat. Nous l’avons déployé chez Cegid Digitalrecruiters, pour autant, nous restons lucides et constatons qu’à défaut d’être rendu obligatoire, la pratique n’a jamais percé.

Le recrutement collaboratif pour faire taire tout réflexe discriminant est un prolongement du CV anonymisé. Un manager autonome sur un recrutement peut être tenté par l’entrisme ou l’homophilie. En revanche, lorsque le recrutement devient collaboratif, des avis distincts se confrontent afin de faire tendre les recrutements avant tout vers les compétences et la diversité.

Enfin, l’option la plus adaptée est de compléter le processus de recrutement d’un assessment centré sur les soft skills. En effet, les tests associés permettent d’identifier les qualités d’un candidat et d’opter pour le recrutement de profils complémentaires et d’éviter les candidats qui pourraient au contraire être toxiques pour l’équipe.

 

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Crédit photo : Pexels

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À propos de l'auteur

Dalale Belhout

Directrice au sein de la Fondation FACE (Fondation Agir Contre l'Exclusion), Dalale dirige le Club des entreprises socialement engagées de Seine-Saint-Denis et sensibilise acteurs privés et publics aux enjeux de recrutement inclusif et de diversité en entreprise. Ancienne Head of Content chez DigitalRecruiters, elle est aujourd'hui ambassadrice du Lab'DR, une communauté d'experts qui partage réflexions et bonnes pratiques sur le blog. Dalale est par ailleurs co-auteur de plusieurs ouvrages dédiés au digital appliqué aux RH, à la marque employeur et au recrutement responsable et éthique, sujets sur lesquels elle intervient régulièrement en tant que conférencière.