Recrutement inclusif

Après le plafond, la falaise de verre : faire appel aux femmes en temps de crise

Vous connaissiez le plafond de verre, mais peut-être pas encore la falaise de verre. Retrouvez notre analyse et comment l’éviter…

9 min

La falaise de verre est un concept moins connu que celui du plafond de verre, mais tout aussi pernicieux. Son principe ? Placer une personne en haut de la hiérarchie d’une organisation en crise au risque de la voir s’effondrer en cas d’échec de sa stratégie de redressement. Pourquoi les femmes sont-elles plus susceptibles d’être victimes de ce phénomène et comment l’éviter ? Réponses et pistes de réflexion.

 

La falaise de verre, un phénomène aux allures de sacrifice

Le plafond de verre est un phénomène bien connu du grand public. Théorisé dans les années 1970 aux États-Unis, il désigne le fait que dans une organisation, les échelons les plus élevés restent difficilement accessibles à celles et ceux jugés trop différents des dirigeants. Il s’agit le plus souvent des femmes et des personnes issues des minorités.

La falaise de verre, quant à elle, est un processus identifié plus récemment. En 2005, une enquête publiée dans le Times révèle que les grandes entreprises britanniques les moins performantes seraient celles qui sont dirigées par une femme. Cette mise en accusation a semblé suspecte à Michelle Ryan, professeure de psychologie sociale et organisationnelle à l’Université d’Exeter.

Après une étude menée avec Alexander Haslam, professeur de psychologie à l’Université du Queensland, la chercheuse est parvenue à démontrer qu’en réalité, les organisations en situation de crise avaient tendance à nommer une femme à leur tête. Ce faisant, elles lui font courir le risque de s’écraser en bas de la falaise que représente la situation dont elle hérite. C’est ainsi qu’est né le concept de glass cliff ou « falaise de verre ». Un phénomène qui se retrouve dans les plus hautes instances des entreprises, des organisations sportives, éducatives et politiques, et même des États.

 

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La femme ainsi nommée est placée dans une situation risquée où la santé financière, la réputation, les relations internes et l’avenir de son organisation sont en péril. Elle devra assumer les conséquences de son naufrage et risque de voir sa propre crédibilité affectée sur le long terme. Les exemples de femmes propulsées au bord de la falaise de verre ne manquent pas :

  • Marissa Mayer, nommée CEO de Yahoo, alors en pleine tempête financière,
  • Anne Lauvergeon
  • Theresa May, choisie pour gouverner le Royaume-Uni, pris dans le tourbillon du Brexit
  • Liz Truss, chargée de reprendre les rênes d’une Grande-Bretagne en plein désastre économique.

 

Les qualités considérées comme féminines pour justifier la falaise de fer

Mais le processus de la falaise de verre peut-il uniquement s’expliquer par la volonté machiavélique de profiter de la chute d’une organisation pour briser la carrière d’une femme ? En réalité, ce phénomène révèle des stéréotypes associés au genre toujours très ancrés dans l’inconscient collectif.

En 2021, Clara Kulich, professeure associée au département de psychologie sociale à l’Université de Genève, publie les résultats d’une étude sur la falaise de verre. On peut y lire que les personnes distinguent deux grandes catégories de qualités associées au leadership : les qualités dites « communales » telles que l’écoute, la sensibilité et l’empathie, et des qualités dites « agentiques », autrement dit la détermination, l’estime de soi et le charisme. Les qualités dites communales sont associées au genre féminin, tandis que les qualités agentiques sont considérées comme typiquement masculines.

Clara Kulich démontre deux faits éloquents. D’abord, les gens ont tendance à se tourner vers la personne possédant des qualités communales en cas de crise relationnelle au sein d’une organisation et davantage vers celle dotée de qualités agentiques en cas de situation financière périlleuse. Ensuite, l’ascension des personnes considérées comme possédant des qualités dites féminines sera, néanmoins, plus probable en cas de crise financière que dans un contexte serein.

 

 

De plus, la chercheuse estime que puisque les femmes doivent déjà faire face au plafond de verre tout au long de leur carrière, elles sont plus enclines à accepter un poste, même à haut risque, quand l’occasion de gravir l’échelon supérieur se présente enfin. Mais d’autres raisons expliquent pourquoi les femmes sont plus susceptibles d’accéder aux fonctions suprêmes en cas de crise.

 

La différence érigée en symbole de changement

Les personnes précipitées au bord de la falaise de verre sont les mêmes que celles qui se retrouvent entravées par le plafond de verre : les femmes et les minorités. Ces personnes paient au prix fort leur différence d’avec leurs supérieurs. En temps de crise, c’est précisément leur différence qui se transforme, soudainement, en atout pour obtenir une promotion. Les difficultés obligent à plus de souplesse et ouvrent la porte à la différence.

Ces nominations parfois inattendues doivent être comprises comme des tentatives désespérées d’inverser la vapeur. Les décideurs jouent alors le tout pour le tout et prennent tous les risques. Ils font même d’une pierre deux coups puisqu’en choisissant un profil marginalisé, ils saisissent aussi une opportunité inédite de changer leur image et leur réputation et de s’afficher comme un groupe ouvert et diversifié.

 

La recherche du coupable idéal

La falaise de verre trahit également d’autres stéréotypes, particulièrement sombres. La situation étant critique, l’espoir d’un succès est plus faible que la crainte d’un échec. La personne nommée à la tête de l’organisation en difficulté est d’abord désignée comme celle qui devra assumer l’écroulement du groupe. Si cette dernière est une femme ou une personne issue d’une minorité ethnique, sexuelle ou religieuse, elle apparaîtra alors comme le “coupable tout désigné”.

Son incapacité à sortir son entreprise ou son parti du marasme économique et social dans lequel il s’est enfoncé est alors expliquée par d’autres clichés nauséabonds. Les femmes sont jugées plus faibles, elles manqueraient d’autorité et d’audace et les personnes de couleur font face au cliché de cadres incompétents et moins performants. Que ces images proviennent du péché originel ou des relents sexistes et racistes qui imbibent la société, et qu’elle peine à reconnaître, le résultat est invariablement le même : elles permettent de justifier l’échec du dirigeant qui ne correspond pas à son archétype et qui s’est glissé dans la peau du bouc émissaire nécessaire pour justifier l’échec d’une politique ancienne et défaillante.

 

Les façons d’éviter le phénomène de la falaise de verre

Est-il seulement possible de contourner la falaise de verre en entreprise ? La réponse est oui, à condition de ne pas attendre que la crise éclate. Ce qui caractérise les sociétés qui se brisent contre cet écueil est leur absence fondamentale de diversité. Elles jouent la carte de la différence uniquement en cas de situation désespérée. La raison est simple : elles ont construit leur structure sur un principe d’homogénéité mortifère.

 

 

Aussi, pour éviter le phénomène de la falaise de verre, est-il indispensable d’avoir une entreprise hétérogène, embrassant un large spectre de profils divers et variés. Les collaborateurs doivent se différencier par un maximum de critères tels que la formation, les expériences professionnelles antérieures, le genre, l’origine ethnique, la classe sociale, ou encore l’âge. Certains signes doivent alerter les décideurs : des comités composés uniquement de personnes du même genre, de la même origine ethnique ou de la même origine sociale et en charge du recrutement et des grandes décisions de l’entreprise sont problématiques.

Pour y remédier, l’entreprise doit revoir ses processus de recrutement, les critères sélectionnés pour choisir les candidats, la composition des groupes de décideurs, les processeurs d’évolution et les chemins de carrière et s’assurer que tous les collaborateurs aient les mêmes chances. La parité et la diversité doivent être inscrites dans son ADN. En s’ouvrant sans cesse à la différence, l’entreprise dope ses performances, sa créativité, le bien-être de ses employés et s’éloigne toujours un peu plus de la tentation de la falaise de verre.

Des outils existent d’ailleurs, en passant par le CV anonyme, imposer le collaboratif sur tous les recrutements pour réduire le risque de discrimination, le choix d’un ATS dont les systèmes de sélection et de scoring sont labellisés ethiques ou encore intégrer l’assessment dans le parcours de candidature.

 

 

La falaise de verre est un sinistre processus qui met en lumière les discriminations que subissent toujours les femmes et les minorités dans le monde du travail. Ce phénomène traduit aussi les fragilités des organisations qui se sont construites sur des valeurs aussi vénéneuses que l’entre-soi. Une remise en question sans concession et un travail d’ouverture à la différence permet de contourner cet écueil.

 

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Crédit photo : Pexels

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À propos de l'auteur

Dalale Belhout

Directrice au sein de la Fondation FACE (Fondation Agir Contre l'Exclusion), Dalale dirige le Club des entreprises socialement engagées de Seine-Saint-Denis et sensibilise acteurs privés et publics aux enjeux de recrutement inclusif et de diversité en entreprise. Ancienne Head of Content chez DigitalRecruiters, elle est aujourd'hui ambassadrice du Lab'DR, une communauté d'experts qui partage réflexions et bonnes pratiques sur le blog. Dalale est par ailleurs co-auteur de plusieurs ouvrages dédiés au digital appliqué aux RH, à la marque employeur et au recrutement responsable et éthique, sujets sur lesquels elle intervient régulièrement en tant que conférencière.