Emploi, Tendances RH

Guerre des talents : est-elle inéluctable ? 

La guerre des talents est-elle inéluctable ? Selon le baromètre « Data Emploi Territoires  » réalisé par Adecco, 50% des…

12 min

 La guerre des talents est-elle inéluctable ? Selon le baromètre « Data Emploi Territoires  » réalisé par Adecco, 50% des employeurs en France déclarent subir une pénurie de talents. Face à ce constat, le nombre de chômeurs au sens du BIT atteint 2,7 millions de personnes en France, une hausse de 628 000 personnes au troisième trimestre 2020. Le cabinet McKinsey inique que 40% des employeurs expliquent les emplois “ouverts et non pourvus” par ce manque de talents. Par ailleurs, 60% d’entre eux estiment que les diplômés ne sont pas préparés au monde du travail. Dans le même temps, une étude LinkedIn indique que 37% des employés considèrent que leurs talents sont sous utilisés.

Qui est donc responsable de cette inadéquation entre l’offre et la demande ? Comment réduire l’écart entre les besoins des entreprises et les compétences disponibles ou potentielles ? La guerre des talents est-elle inéluctable ? 

La situation ressemble à s’y méprendre au fameux « Triangle dramatique de Karpmann ». L’entreprise et le travailleur se succèdent dans les rôles de victime, persécuteur et sauveur. L’état français, semble lui, au milieu de tout cela, comme écartelé entre sa posture paternaliste, celle de premier employeur de France, et sa mission de comptable et responsable de la politique économique et sociale soumise à des engagements envers ses partenaires européens. 

Guerre des talents : les entreprises en première ligne ?

Les entreprises sont victimes du manque de compétences des collaborateurs et des candidats qui devraient être à l’origine de leur innovation, leur performance et leur croissance. Certaines sont persécutrices dans l’absence de qualité des postes proposés, la multiplication de leurs exigences déraisonnables en termes de profils, la méconnaissance des potentiels déjà présents dans leurs rangs et la faible qualité de vie au travail. Enfin, les entreprises sont sauveuses lorsqu’elles conservent des collaborateurs devenus incompétents eu égard à l’obsolescence de leurs connaissances ou leur inadaptation au poste occupé.

Si certains postes ne trouvent pas preneur, c’est souvent dû à la qualité des emplois proposés : horaires entravant la vie personnelle, temps partiel imposé, bas salaires, mauvaises conditions de travail, manque de reconnaissance, de sens et d’intérêt des missions proposées, manque de perspectives d’évolution … Ainsi, le manque d’attractivité de certaines entreprises ou de certains secteurs peut être à l’origine du faible volume de candidatures. 

Sans surprise, le top 15 des métiers en tension selon le BMO 2019 laisse apparaître  des métiers mal aimés, souvent à juste titre, considérant les conditions de travail et de rémunération associées. Parmi eux :

  • Agents d’entretien de locaux 
  • Serveurs de cafés-restaurants
  • Employés polyvalents de cuisine et hôtellerie
  • Animation socioculturelle
  • Aides à domicile 
  • Ouvriers de l’emballage et manutentionnaires
  • Aides-soignants
  • Employés de libre-service
  • Cuisiniers
  • Conducteurs routiers (transport & logistique)

Dans ce classement, les premiers postes de cadres n’arrivent qu’en 13ème position (Ingénieurs, cadres études, R&D informatique) et font office d’exception. Les secteurs les plus « pénuriques  » sont ceux pour lesquels on recense le plus d’accidents de travail ayant générés un arrêt maladie, la plus forte fréquence de survenance, et le plus fort taux de maladie professionnelle. 

 

Source « L’essentiel santé, sécurité et travail » Assurance Maladie
Source « L’essentiel santé, sécurité et travail » Assurance Maladie

La typologie des maladies les plus représentées correspond également à ces secteurs impliquant des métiers plutôt « physiques ».

Source « L’essentiel santé, sécurité et travail » Assurance Maladie
Source « L’essentiel santé, sécurité et travail » Assurance Maladie

Les exigences de certains employeurs en quête du mouton à cinq pattes peuvent tout autant aboutir à une situation de « postes non pourvus ».Selon un rapport de France stratégie, 31% des Français en activité seraient surqualifiés par rapport à leur emploi.

Il convient donc non seulement s’interroger sur la pertinence de l’identification des compétences dont les entreprises ont besoin, mais également, si ces dernières connaissent et optimisent les compétences dont elles disposent déjà en interne. A la lecture de nombreuses offres, le candidat idéal serait multi-potentiel, polyvalent, adaptable, surqualifié, présentant des compétences rares et multidirectionnelles et enfin, corvéable à merci pour une rémunération frisant le ridicule. Cerise sur le gâteau, ce collaborateur s’autoformerait en anticipation des besoins de son employeur, sur sa propre initiative, son temps personnel et sur ses propres moyens financiers.

Alors même que selon l’étude Page « Les français et l’emploi  », 82% des 18-34 ans citent comme critère prioritaire, dans leur recherche d’un emploi, le fait de bénéficier de formations, seuls 10 millions de CPF ont donc été activés, sur les 28 millions de comptes potentiels automatiquement déclenchés pour les Français y ayant droit. Entre Septembre 2018 et février 2020, 160 000 Français ont créé 211 000 dossiers de formation, dont 136 000 ont été validés. Entre 2015 et 2018, seuls 1,7 % des salariés du privé ont utilisé leur compte.

Dans le même temps, selon une étude Randstad, 56% des collaborateurs estiment qu’ils n’ont pas les compétences requises aujourd’hui pour maîtriser les technologies numériques. Déjà en 2014, à la lecture de l’audit « Adapt to survive  » du cabinet PwC pour le réseau LinkedIn, on découvrait que l’incompétence coûterait 2,17 milliards d’euros aux entreprises françaises chaque année. Cette enquête pointe la réticence des salariés à se former à de nouveaux savoir-faire et à changer de secteur d’activité. 

L’audit présente également un « Index d’Adaptabilité des Compétences » qui permet de « mesurer la capacité d’un marché à répondre aux évolutions de la demande ». Sur ce critère, les français font figure de mauvais élèves arrivant en septième position sur 11. Une piètre performance qui serait notamment la conséquence d’une faible mobilité interne et externe des salariés. 

Concept issu du Marketing, la fidélisation est aujourd’hui au cœur des stratégies RH en entreprise. Depuis plusieurs années, les DRH sont exhortées d’accroître l’ancienneté des salariés. Cela serait un indicateur d’une bonne qualité de vie au travail et de l’engagement des collaborateurs. Retenir un salarié sur le départ devient même un « must have » dans les process. Selon le cabinet Robert Half, « 82,5% des DRH sont préoccupés par le départ de leurs collaborateurs pour deux raisons simples :

  • Une démission est source de désorganisation et de démotivation ;
  • Le recrutement et la formation de nouveaux éléments se révèlent coûteux. »

Pourtant, les conséquence négatives de ces pratiques sont connues de longue date. Fidélisation ne rime pas forcément avec engagement. Un salarié qui reste dans une entreprise pour des conditions de travail favorables n’est pas pour autant engagé. Il répond simplement à des besoins alimentaires. 

De plus, le Principe de Peter énonce que, si des employés sont efficaces à un niveau hiérarchique donné, ils seront promus à un niveau supérieur et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’ils atteignent un niveau auquel ils seront inefficaces. Ainsi, avec un effectif présentant une ancienneté importante, l’entreprise évolue lentement mais sûrement vers une inefficacité généralisée. De fait, la fidélisation doit être individualisée et non pas industrialisée. Il est nécessaire d’avoir le courage de ne pas garder tous les collaborateurs. La mobilité ne reste, à termes, efficace qui si elle est interprofessionnelle avec notamment des mobilités horizontales.    

Guerre des talents : quel rôle pour les salariés ?

Les collaborateurs sont victimes du manque d’investissement des entreprises dans le développement de leurs compétences alors même que ces dernières exigent toujours plus en termes de polyvalence. Certains sont persécuteurs dans l’absence de loyauté, d’implication, d’engagement dans leur travail et dans le manque d’initiative dans la prise en main de leur carrière. Enfin, certains salariés sont sauveurs lorsqu’ils demeurent dans des entreprises ne leur proposant pas des conditions de travail, de rémunération et d’évolution qu’ils sont en droit d’attendre. 

32% des Français suivent une formation professionnelle chaque année d’une durée moyenne de 46h. Ces formations peuvent représente une reconversion ou une simple amélioration du niveau de langues étrangères ou encore de pratique digitale. C’est en France que l’on se forme le moins : 41% des habitants des autres pays de l’OCDE suivent une formation chaque année. Les domaines de formation les plus demandés concernent :

  • Sécurité des biens et des personnes,
  • Santé,
  • Spécialités plurivalentes des échanges et de la gestion
  • Informatique
  • Développement des capacités d’orientation, d’insertion ou de réinsertion sociale et professionnelle,
  • Développement des capacités comportementales et relationnelles,
  • Commerce et la vente.

On est bien loin des métiers d’avenir et des compétences porteuses d’innovation. Les salariés semblent bénéficier des formations obligatoires de certains secteurs tels que la sécurité, les renouvellements d’habilitation, recyclages (SSIAP1, SSIAP 2, SSIAP 3, secourisme etc.) et pas de développement professionnel.

Malgré la digitalisation de la fonction Rh, peu d’entreprises ont mis en place une solution de Cartographie des Compétences Professionnelles. De plus, bien que la négociation triennale sur la Gestion des Emplois et des Parcours Professionnels devrait permettre notamment d’établir une photographie des ressources humaines disponibles pour anticiper les besoins futurs de l’entreprise et mettre en place les actions nécessaires pour faire face aux évolutions du contexte économique, elle est encore trop souvent une simple réponse à une obligation sans réelle stratégie. 

Les entreprises sont maintenant engagées dans la course au «  Green washing  » (ou « éco-blanchiment », « verdissage »), à la «  Diversity washing  », la QVT washing, etc : en d’autres termes, la force obscure du mauvais marketing et ce, alors même que selon le baromètre Michael Page «  Les français et l’emploi  », 77% des 18-34 ans citent comme important le fait de travailler dans une entreprise éthique.

 

On observe depuis quelques années déjà, une évolution dans les attentes des salariés vis-à-vis de leur employeur. Rien de plus rédhibitoire que l’absence de sens ou encore l’inadéquation entre les valeurs réelles de l’entreprise et celles des éventuels candidats. Ce constat est à l’origine d’une nette dégradation de la situation et entraine les protagonistes dans le cercle vicieux de la marque employeur. 

La guerre des talents n’a pas lieu d’être 

Officiellement, le concept d’offres d’emploi non pourvues désigne les seules offres retirées du marché sans donner lieu à une embauche. Pour autant, l’abandon en cours d’un recrutement par une entreprise n’est pas uniquement dû à une absence de candidature de qualité. Comme le reconnaissait le Président François Hollande en 2013, « personne n’a la véritable statistique ».

En entreprise, il est temps d’investir dans une solution de GEPP et de tirer les conséquences de l’état des lieux et des évolutions annoncées dans le secteur d’activité concerné. Pour ce qui concerne les recrutements, l’heure est venue d’aller au-delà des fiches de postes et vers l’analyse des missions. Il convient de créer une véritable banque de données comprenant toutes les compétences (hard, soft) indispensables dans le contexte actuel et l’incertitude de demain.

En recrutant mieux, en anticipant les besoins, en capitalisant sur les collaborateurs déjà présents, les entreprises sont tout à fait à même d’éviter la pénurie annoncée de talents. Il est impératif de les identifier et d’accompagner une réelle exploitation des potentiels déjà en présence. Comme chacun sait, cela coûte plus d’acquérir de nouveaux clients que de prendre soins de ceux déjà connus.

Former, c’est également confier des missions concrètes et responsabilisantes aux alternants et aux stagiaires qui sont une formidables occasion de pré-embauche quand leur intégration est valablement réfléchie, anticipée et accompagnée. Ne le faire que pour répondre à une obligation légale n’est pas faire preuve de stratégie d’acquisition de compétences.

Cependant, l’entreprise ne peut pas tout. Les collaborateurs peuvent et doivent changer de paradigme en prenant à bras le corps leur carrière. L’Etat leur en a donné les moyens avec des dispositifs de formation où ils sont seuls maîtres à bord. Charge à chacun de s’en saisir afin de rester employable et de quitter les entreprises qui ne les reconnaissent pas à leur juste valeur. 

Selon le « Guide oh future of HR » du cabinet Deloitte de juillet 2021, « La mobilité interne et interprofessionnelle, est une solution gagnant-gagnant. Faire évoluer ses collaborateurs n’est pas une stratégie facile mais elle permet de pallier les difficultés de recrutement et de fidéliser les talents. » Avec une juste évaluation du marché de l’emploi, les salariés et les demandeurs d’emploi sont à même de se rendre désirables aux yeux des employeurs et donc de tourner à leur avantage cette guerre des talents qui pourrait ainsi ne pas avoir lieu.

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À propos de l'auteur

Véronique Lugiéry

Spécialisée en transformation RH, Véronique Lugiéry œuvre à introduire une culture de l’innovation au sein de l’entreprise. Diplômée de l’IAE de Bordeaux et de l’ISEP, Véronique crée notamment des communautés de pratiques afin de développer ; au plus près du terrain, de nouveaux outils et des process agiles et collaboratifs, afin d’attirer, développer et fidéliser les talents. Ses sujets de prédilection sont la diversité, l’expérience candidats et collaborateurs, la qualité de vie au travail, la RSE, ainsi que les nouveaux modes de management (Management par la confiance). Exerçant dans diverses spécialités des ressources humaines depuis plus de 10 ans, Véronique est actuellement en charge de projets d’innovation RH au sein du Groupe international de mobilité Transdev.