Recrutement inclusif

Annonces d’emploi : lorsque la discrimination est dans le « tu » 

Avez-vous remarqué le nombre d’annonces d’emploi faisant usage du tutoiement ? Loin d’être des exceptions, ces offres reflètent une tendance…

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Avez-vous remarqué le nombre d’annonces d’emploi faisant usage du tutoiement ? Loin d’être des exceptions, ces offres reflètent une tendance de fond qui vise à assouplir les relations entre les collaborateurs. Pourtant, lorsque la discrimination est dans le « tu », ce n’est pas du tout décontracté, mais plutôt un dangereux vecteur de discrimination, à l’embauche et au sein de l’entreprise. Coup de projecteur sur une forme de communication pas si innocente qu’elle n’en a l’air.

 

Utiliser le « tu », une forme discrimination ?

En France, les offres d’emploi utilisant le « tu » sont en nette augmentation. Les chiffres issus des différentes plateformes de recrutement révèlent qu’elles représentent désormais 10 % des annonces. À titre d’exemple, leur nombre a augmenté de 91 % en trois ans sur la seule plateforme Indeed. La majorité de ces annonces sont diffusées par des entreprises très largement connues du grand public et qui se sentent en droit de s’affranchir du vouvoiement ou encore des starts-up où le tutoiement fait partie de la culture d’entreprise. Cependant, cette pratique pose de nombreuses questions concernant l’impact sur le processus de recrutement.

 

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En effet, alors que la France accuse un important retard concernant l’emploi des seniors, par rapport à ses voisins européens, ces annonces qui font l’éloge du tutoiement interrogent quant au type de candidats qu’elles visent. Indubitablement, ce sont principalement les plus jeunes d’entre eux qui sont attirés par ces offres d’emploi promouvant une entreprise à l’esprit décontracté. Les seniors, moins à l’aise avec cette forme de communication, n’osent que peu souvent répondre à ces offres et voient leur accès à l’emploi d’autant plus contrarié. Peut-on alors parler d’une discrimination qui ne dirait pas son nom ?

 

Ce que dit la loi concernant le tutoiement en entreprise

Le Code du travail est très clair concernant la rédaction des annonces d’emploi. Selon l’article L. 3221-2 du Code du travail, il est donc interdit de mentionner l’un des éléments suivants, pas plus qu’il n’est autorité d’écarter un candidat ou de le sélectionner au regard de « son origine, de son sexe, de ses mœurs, de son orientation sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille ou en raison de son état de santé ou de son handicap ».

Ainsi, il est interdit de faire une référence explicite à l’âge de l’équipe ou du candidat recherché et les termes « senior » et « junior » ne peuvent être utilisés que pour préciser le niveau d’expérience dans le métier en question. Ainsi, si la législation française n’interdit pas de manière directe l’emploi du « tu », toute annonce ciblant délibérément une population en raison, par exemple, de son âge, contrevient, de fait, au Code du travail. D’autres pays font le choix de bannir le tutoiement des offres d’emploi, à l’instar de l’Allemagne, qui n’hésite pas à condamner les entreprises contrevenantes, non pas pour le tutoiement, mais pour l’usage d’occurrences à une équipe jeune dans une ambiance startup

En France, certaines entreprises font quand même le choix d’utiliser le « tu », au risque de maintenir à distance toute une population de demandeurs d’emploi qualifiés pour les postes publiés.

 

Employer le tutoiement en entreprise, une bonne idée ?

Outre l’usage du tutoiement dans les annonces d’emploi, cette pratique est courante au sein de nombreuses entreprises, notamment dans le secteur privé.

Les Français sont ainsi 63 % à tutoyer leur supérieur hiérarchique direct.D’après une étude dont les résultats ont été publiés dans la revue Sociologie du Travail

Cette forme de communication, autrefois réservée à la sphère privée, est très révélatrice des liens qui unissent les acteurs de l’entreprise. Ainsi, ce sont principalement les cadres qui tutoient leur supérieur direct, tandis que les femmes, toutes fonctions confondues, hésitent bien davantage à passer au « tu ».

Le tutoiement en entreprise, un levier pour signifier un rappel d’égal à l’égal entre tous les collaborateurs. L’utilisation du « tu » place les salariés sur un pied d’égalité dans un monde professionnel où la hiérarchie reste encore très prégnante. Jeunes et moins jeunes, cadres et non cadres interagissent ainsi plus facilement ensemble grâce au tutoiement. L’usage du  « tu » permet également de briser les barrières en instaurant une proximité réelle entre les managers, leurs équipes, qui développent non seulement des relations professionnelles plus saines mais aussi, des relations humaines plus fortes. 

Parmi les nombreux avantages du tutoiement, il y a :

  • le renvoi d’une image positive et dynamique pour l’entreprise,
  • une cohésion d’équipe renforcée qui lève les barrières entre les différentes générations,
  • ou encore le sentiment d’appartenance à un même groupe, facilitant l’intégration des nouvelles recrues. 

Face à des salariés toujours plus attentifs au bien-être et à la qualité de vie au travail, le tutoiement, et la culture d’entreprise positive qu’il sous-tend, apparaissent comme un réel levier de management et de fidélisation des équipes. Les entreprises privilégiant le tu bénéficieront ainsi d’une image d’une organisation plus accessible, plus bienveillante, plus moderne pour des candidats et collaborateurs en quête d’un environnement de travail chaleureux et davantage axé sur l’humain. 

Le tutoiement, en plus de mettre tous les actifs sur un pied d’égalité, crée ainsi un climat de travail où s’effacent les différences entre les collaborateurs favorisant des rapports plus sains entre toutes les fonctions de l’entreprise. 

 

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Crédit photo : Pexels

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À propos de l'auteur

Dalale Belhout

Directrice au sein de la Fondation FACE (Fondation Agir Contre l'Exclusion), Dalale dirige le Club des entreprises socialement engagées de Seine-Saint-Denis et sensibilise acteurs privés et publics aux enjeux de recrutement inclusif et de diversité en entreprise. Ancienne Head of Content chez DigitalRecruiters, elle est aujourd'hui ambassadrice du Lab'DR, une communauté d'experts qui partage réflexions et bonnes pratiques sur le blog. Dalale est par ailleurs co-auteur de plusieurs ouvrages dédiés au digital appliqué aux RH, à la marque employeur et au recrutement responsable et éthique, sujets sur lesquels elle intervient régulièrement en tant que conférencière.