Pénurie de talents : les freelances peuvent-ils remplacer les CDI ?

Dans un secteur qui peine à recruter et fidéliser les talents, les prestataires de service sont parés de qualités éminentes. Flexibles, motivés et faciles à embaucher, les travailleurs indépendants sont souvent les premiers à défendre les vertus de leur statut, en plein essor. Mais les freelances peuvent-ils réellement remplacer les CDI ?

Les freelances tech, une population en constante augmentation

En 2023, la France compte 2,3 millions de travailleurs indépendants sur 28 millions d’actifs. Un nombre en augmentation constante et dont l’ampleur dépasse les frontières de l’Hexagone, puisque le nombre de freelances en Europe a bondi de 45 % en seulement 10 ans. Sans surprise, ce n’est pas moins de 57 % des entreprises françaises qui ont recours à des prestataires de services. Loin de concerner uniquement les start-ups, le phénomène s’étend maintenant à un nombre croissant de sociétés. Les freelances les plus sollicités sont issus de la tech et les entreprises débordent d’ingéniosité pour bénéficier de la précieuse expertise de ces professionnels.

En 2021, l’Insee observait une hausse de 21,8 % de création de micro-entreprises. Alors que le CDI était perçu, jusqu’à très récemment, comme le précieux sésame permettant l’accès à une carrière stable et brillante, le statut de micro-entrepreneur se révèle de plus en plus séduisant. Les raisons de cet amour irrépressible sont nombreuses : revenu plus attractif, gestion de son temps de travail en autonomie, ou encore choix des entreprises et des collaborateurs avec lesquels le freelance souhaite travailler. En d’autres termes : flexibilité et sérénité, des valeurs particulièrement plébiscitées en ce début de nouvelle décennie.

Développeur, UX designer, expert en marketing digital, traffic manager, community manager, content manager, le monde de l’IT est en effervescence et ses freelances n’ont jamais été autant courtisés. Leur intégration, ponctuelle ou quasi permanente, aux entreprises qui les démarchent est facilitée par le télétravail qui se démocratise à marche forcée depuis la pandémie de Covid-19. Il en résulte un engouement pour le statut de travailleur indépendant auprès des jeunes diplômés et même, des salariés déjà en CDI.

Selon une étude , 58 % des employeurs interrogés ont reçu des demandes de leurs salariés pour travailler en tant que freelance. Dans le monde de la tech, les petites entreprises peuvent ainsi avoir jusqu’à 30 % de leur effectif sous le statut de travailleur indépendant. À tel point que certaines sociétés ont dû créer le poste de Chief Freelance Officer pour manager ces équipes de freelances, de plus en plus grandes. Une nécessité pour un secteur frappé par une pénurie de talents.

L’informatique, un secteur en pénurie de talents qui se tourne vers les travailleurs indépendants

Les prestataires de service représentent les seuls collaborateurs que de nombreuses entreprises de l’IT arrivent à recruter. Dans un secteur en ébullition, les difficultés de recrutement se multiplient et les employeurs peinent à convaincre et retenir les talents qui leur manquent. Faute de pouvoir proposer le salaire et les conditions de travail exigées par des experts, conscients de leur propre valeur, un grand nombre d’entreprises sont contraintes d’acheter des prestations de services. Une dépendance qui les met en réelle fragilité face au risque d’un manque de freelances compétents et disponibles.

Dans de nombreux cas, cette décision n’est pas un choix par défaut, mais une nécessité économique afin d’intégrer à l’effectif des professionnels aguerris et capables de faire avancer les projets de la société. Dans certains cas, les entreprises refusent catégoriquement la signature d’un CDI ou même d’un CDD et ne collaborent qu’avec des travailleurs indépendants. Il en résulte, pour les actifs, une obligation de se soumettre au statut de freelance.

En conséquence, le nombre de freelances dans la tech ne fait qu’augmenter. Dans certaines entreprises, ceux-ci représentent la moitié, voire la majorité des agents, et ce, sur le long terme. Les missions sont facilement renouvelées de mois en mois et la durée de collaboration moyenne est désormais de huit mois, selon l’enquête menée par Anywr Group. Peut-on parler d’une véritable révolution dans le monde du travail et craindre que les freelances ne puissent remplacer les CDI ?

Dans le secteur de l’IT, les freelances menacent de remplacer les CDI

Il y a quelques années, les freelances effectuaient des missions ponctuelles pour des clients variés. Aujourd’hui, ils tendent à travailler exclusivement pour la même entreprise. Leur recrutement, plus rapide et moins coûteux, les rend plus attractifs pour les entreprises qui rendent la signature d’un CDI moins systématique. Force est d’admettre que dans certains cas, les freelances pourraient bien remplacer les CDI.

Contrairement aux salariés lambdas, les stars freelances de la tech sont disponibles à travers le monde et leur capacité à organiser, en parfaite autonomie, leur travail à distance, est une force incomparable pour les recruteurs impatients et exigeants. Le recrutement est plus facile, plus rapide, puisque ne nécessitant pas la signature d’un contrat de travail classique. De plus, si le freelance se révèle inefficace, il est bien plus facile de ne pas renouveler sa mission que de licencier un salarié en CDI.

Par ailleurs, puisqu’il est responsable de ses revenus, son niveau de motivation et d’implication est souvent démultiplié, ce qui le rend d’autant plus attrayant. Les recruteurs et les managers en quête de collaborateurs autonomes, motivés et investis préfèrent, le plus souvent, se tourner vers des prestataires de services extérieurs que vers des salariés.

Un des principaux atouts du freelance tech est son degré d’expertise et de spécialisation qu’il peut se permettre de vendre à l’entreprise. Un tel niveau de compétences et de connaissances est souvent plus difficile à atteindre en interne, d’autant plus que toutes les entreprises souhaitent en bénéficier rapidement, sans avoir besoin d’accompagner et de former leurs collaborateurs pendant plusieurs années.

Tous ces avantages expliquent pourquoi les freelances tech menacent déjà de remplacer les CDI au sein des petites entreprises. Ces dernières ont plus de difficultés à recruter des salariés en raison des salaires moins élevés qu’elles proposent et des conditions de travail moins attractives. Beaucoup d’entre elles préfèrent collaborer avec un ou plusieurs freelances tech que de s’engager dans le recrutement, long, pénible et coûteux, d’un salarié en CDI.

Le CDI, ce Saint-Graal qui n’a pas dit son dernier mot

Le freelance tech, même s’il a beaucoup d’atouts dans son jeu, ne peut pas toujours rivaliser avec un salarié en CDI. Ce Saint-Graal, même s’il est victime d’un sérieux désamour auprès des jeunes actifs, reste quand même une valeur sûre pour de nombreuses entreprises. Esprit d’équipe, loyauté et culture d’entreprise sont des valeurs que de nombreux patrons ne sont pas prêts à abandonner.

Adulé pour son indépendance et sa capacité à gérer sa propre charge de travail, le freelance tech est également critiqué pour son manque d’esprit d’équipe. À un collaborateur freelance gérant son temps comme bon lui semble, de nombreux managers préfèrent un salarié intégré à son équipe et qui accepte de se plier aux exigences du travail collaboratif. Plus facile à superviser, le salarié en CDI est perçu comme un employé stable et plus facile à encadrer.

À l’opposé de l’électron libre qu’est le freelance tech, qui butine d’entreprise en entreprise, le salarié en CDI ne passe pas son temps à naviguer entre les sociétés de l’IT. Engagé par contrat à une seule entreprise, il en a adopté la culture et est, naturellement, sensibilisé à ses enjeux. Ce qui compte pour lui, ce n’est pas la réussite de son propre business, mais celle de son entreprise. Impliqué dans la stratégie globale de l’entreprise, le salarié en CDI possède une vision d’ensemble de sa société et articule son travail en conséquence. Sa loyauté est une force qui fait souvent défaut aux travailleurs indépendants.

L’ensemble de ces qualités sont toujours très recherchées par beaucoup d’employeurs. C’est notamment le cas des grandes entreprises de l’IT qui n’ont ni le besoin ni l’envie de se tourner vers des freelances. Leur capacité à proposer des salaires attractifs, assortis d’avantages alléchants et de conditions de travail flexibles, les affranchit de l’achat de prestation de service. Les développeurs et autres professionnels de la tech désireux de rejoindre ces grands groupes savent que le CDI reste la seule voie d’entrée de ces entreprises.

Propulsé par le développement spectaculaire du télétravail, le statut de freelance est en plein boom dans le secteur de la tech. Animés par une volonté d’améliorer leur qualité de vie et de générer eux-mêmes, le revenu qui leur correspond, les actifs hésitent de moins en moins à troquer leur CDI contre le statut de micro-entrepreneur. Le phénomène est si massif que le gouvernement adapte déjà la législation pour mieux accompagner et protéger ces travailleurs indépendants. Toutefois, si l’explosion du nombre de freelances rebat les cartes du travail dans les entreprises de la tech, le CDI n’a pas encore dit son dernier mot et reste irremplaçable au sein de nombreuses grandes entreprises.

Crédit photo : Pixabay