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Les émotions ont elles leur place dans le recrutement ?

« L’émotion est la clé du bien-être en entreprise » – Conclusion d’une étude longitudinale Steelcase, sur les facteurs émotionnels du bien-être…

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« L’émotion est la clé du bien-être en entreprise » – Conclusion d’une étude longitudinale Steelcase, sur les facteurs émotionnels du bien-être au travail.

Émotions et entreprise, ce n’est pas le mélange le plus évident. Par usage, les émotions sont souvent réprimées dans l’univers professionnel. Des phrases comme « Ne sois pas autant dans l’émotionnel », ou encore « ne prend pas trop à cœur cette remarque » peuvent être courantes. Pourtant, les émotions sont une composante normale du comportement humain. À l’origine, elles ont un rôle adaptatif : par exemple, la peur et le stress nous permettent d’identifier des situations de danger. Dans le recrutement, elles sont souvent perçues comme un parasite de l’évaluation. Qu’en-est-il vraiment ? Comment composer avec ses émotions en recrutement ? Éléments de réponse dans cet article.

Les émotions du recruteur : un parasite dans l’évaluation ?

« N’oublions pas que les petites émotions sont les grands capitaines de nos vies et qu’à celles-là nous y obéissons sans le savoir. », Vincent Van Gogh.

Les émotions influencent le jugement, que nous le voulions ou non

Plusieurs expériences en psychologie montrent que les émotions ont des effets sur notre perception des autres personnes, ou du monde de façon générale. Vers la fin des années 1980, une étude a été réalisée par deux chercheurs de l’université de Stanford et de Kensington sur l’influence de l’humeur sur le jugement des autres personnes. Dans un premier temps, les participants passaient un « faux test » de personnalité et d’adaptation sociale. Par la suite, un faux feedback de performance sur le test leur était ensuite donné : dans la moitié des cas, celle-ci était bonne, et dans l’autre moitié, la performance était mauvaise. Cette manipulation avait pour but de les mettre dans une humeur joyeuse ou triste.

Pendant la deuxième partie de l’expérience, les participants devaient lire des courtes descriptions de personnes. Pour chacune, des détails à valence « positive », et d’autres à valence « négative » y étaient inscrits, de façon équilibrée. Dans un premier temps, les participants devaient émettre des jugements sur les personnes, à partir des descriptions qu’ils avaient lu. Les résultats montrèrent que les participants de bonne humeur jugeaient plus favorablement les personnes que ceux étant plongés dans une mauvaise humeur. Dans un second temps, après avoir lu les descriptions, les chercheurs prétextaient une épreuve de mémoire pour demander aux participants de rappeler un maximum de détails qu’ils avaient lus sur les descriptions. Les résultats montrèrent que les participants de bonne humeur se souvenaient davantage des détails à valence « positive », et que les participants de mauvaise humeur se souvenaient davantage des détails à valence « négative ».

L’influence des émotions est réduite lorsque la méthode est rigoureuse

Le vrai danger des émotions en recrutement, c’est de penser qu’elles ne puissent pas nous influencer, ou que leur influence est mineure. Pourtant, cette expérience nous montre que l’humeur peut considérablement influencer l’impression que l’on aura d’un candidat lors d’un entretien d’embauche. Elle nous montre également que nous retenons mieux les éléments qui sont en concordance avec notre humeur, et ce de façon importante. Ce dernier élément représente un réel danger en entretien, car nous pouvons facilement nous focaliser sur les aspects positifs ou négatifs d’un candidat en occultant le reste. Cependant, ce biais de confirmation peut grandement être réduit avec une rigueur de méthode. Dans ce cas précis, il faudra donc veiller à demander constamment des informations « positives » et « négatives » pour chacune des compétences que vous demandez au candidat : par exemple, si vous cherchez quelqu’un qui soit force de proposition, demandez à chaque candidat de vous décrire les deux versants de cette compétence chez lui : quand il réussit à être force de proposition, et quand il rencontre des difficultés. Cela rajoute du temps passé à l’entretien, mais l’information gagnée est souvent très pertinente, et parfois décisive dans la décision finale. Demander des faits négatifs au candidat, c’est aussi tester sa capacité à se remettre en question.

Les émotions du candidat : quelle attention y porter ?

Selon une enquête OfficeTeam, 90% des DRH déclarent faire attention à la communication non-verbale des candidats !

Attention à ne pas sur-interpréter les émotions des candidats : nous sommes loin d’être des experts !

L’une des tentations en recrutement est de vouloir interpréter les émotions du candidat pendant l’entretien. Il est vrai que cet aspect peut être particulièrement visible chez certains candidats, qui vont beaucoup « émotionnaliser » leurs discours. Plusieurs éléments vont ainsi nous donner des indices sur leur état émotionnel : le ton de voix, le débit de parole, l’assurance de la posture, etc. Cependant, il est absolument nécessaire de rester modeste sur sa capacité à détecter les émotions d’autrui. Un des pionniers en la matière est Paul Ekman, avec ses recherches réalisées dans les années 1980. Ce célèbre psychologue a mené de nombreux travaux sur la reconnaissance des émotions à travers les expressions faciales des personnes, et a dégagé 6 émotions de bases universelles : la tristesse, la joie, la colère, la peur, le dégoût, et la surprise. Ainsi, parmi toutes les expériences qu’il a pu mener, celles-ci ont très tôt montré que nous étions loin d’être des experts en la matière ! L’émotion que nous détectons le mieux est la joie. En revanche, nous sommes plutôt inefficaces pour détecter les émotions négatives des autres personnes, ce qui compose tout de même la majorité du panel d’émotions. La peur est l’émotion que nous détectons le moins bien chez autrui.

Les émotions du candidat peuvent signifier plusieurs choses à la fois

Il est intéressant de noter que même les professionnels ayant été formés à la détection du mensonge via la reconnaissance des émotions n’arrivent pas mieux à le détecter que des personnes non-formées. Ce fut la conclusion d’un rapport de 2007 sur le programme SPOT, un programme de formation censé augmenter les performances de détection du mensonge.

Ainsi, il faudra veiller à prendre le recul nécessaire pour ne pas tomber dans la « surinterprétation » des émotions du candidat. Il faut déjà pouvoir les détecter, ce qui n’est pas une mince affaire. De plus, une même émotion peut vouloir dire plusieurs choses. Le stress ou la peur en entretien d’embauche sont par exemple courants chez certains candidats, qui peuvent simplement redouter l’épreuve en soi. Dans d’autres cas, si des signaux de stress apparaissent lorsque le candidat parle d’un fait précis, cela suscite l’interrogation. Il peut garder un mauvais souvenir de cette expérience, avoir peur de mal « vendre » ses réussites, ou peut effectivement exagérer la réalité, voire mentir dans certains cas. Le problème majeur est que nous n’avons aucun moyen de savoir à coup sûr ce que révèle réellement l’émotion du candidat. Il est donc nécessaire de considérer ces signaux comme des pistes d’investigation, et non comme des vérités absolues.

Dans tous les cas, la meilleure stratégie concernant la gestion des émotions des candidats sera toujours d’être bienveillant, et de rassurer autant que possible. Au-delà de l’aspect humain déjà fondamental, un candidat stressé ou en colère n’est pas un candidat qui se livre facilement. Il faut garder à l’esprit que l’objectif premier d’un entretien est de recueillir un maximum d’informations pour pouvoir évaluer les compétences du candidat, ainsi que son savoir-être, et ce en très peu de temps.

Les émotions sont présentes en recrutement, comme dans toutes les situations en entreprise. Ce serait une erreur de nier leur présence, ou simplement de les ignorer en entretien. Il est au contraire nécessaire de mieux comprendre comment les émotions fonctionnent, et ce qu’elles peuvent nous faire faire, sans que nous le voulions. C’est en apprenant à les identifier chez nous même, ainsi que chez le candidat, que nous pouvons mieux appréhender les biais qu’elles induisent. Accepter les émotions dans le rapport candidat/recruteur, c’est fluidifier la parole, pour un meilleur recueil de l’information.

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À propos de l'auteur

Dalale Belhout

Directrice au sein de la Fondation FACE (Fondation Agir Contre l'Exclusion), Dalale dirige le Club des entreprises socialement engagées de Seine-Saint-Denis et sensibilise acteurs privés et publics aux enjeux de recrutement inclusif et de diversité en entreprise. Ancienne Head of Content chez DigitalRecruiters, elle est aujourd'hui ambassadrice du Lab'DR, une communauté d'experts qui partage réflexions et bonnes pratiques sur le blog. Dalale est par ailleurs co-auteur de plusieurs ouvrages dédiés au digital appliqué aux RH, à la marque employeur et au recrutement responsable et éthique, sujets sur lesquels elle intervient régulièrement en tant que conférencière.