D’après une enquête OfficeTeam, plus de 90% des DRH déclarent faire attention à la gestuelle du candidat en entretien !
« Il ne m’a pas regardé dans les yeux… c’est sûrement qu’il a quelque chose à cacher » ; « Il a croisé les bras pendant tout l’entretien, il ne doit pas être très intéressé par le poste » ; « Sa voix tremblait quand il m’a dit ça, je suis sûr qu’il m’a menti ! »
Quand on parle de langage corporel en recrutement, les idées fusent entre les recruteurs, et chacun a entendu parler d’interprétations que l’on pourrait faire de certains gestes de la part des candidats en entretien. Bien souvent, le but est le même : détecter le mensonge chez le candidat. Parfois pris très au sérieux par certains recruteurs, l’interprétation du langage corporel souffre malheureusement de la présence de nombreuses idées reçues, souvent véhiculées par les médias ou les séries télés, et qui ne donnent pas une véritable image de l’état actuel des connaissances en sciences du langage corporel. Les séries comme « Lie To Me », ou « Mentalist » ont donné l’illusion que chaque micro-mouvement pouvait être relié systématiquement à une interprétation, et qu’en en apprenant les liens entre tous ces mouvements et leurs interprétations, il était alors possible de « lire » les émotions d’une personne comme dans un livre ouvert : « Il s’est gratté le haut du menton, c’est donc qu’il s’interdit de dire quelque chose ». La réalité est hélas bien moins tranchée, et l’analyse du non-verbal bien plus compliquée qu’habituellement montrée.
Dans cet article, une réflexion autour de l’interprétation de la gestuelle des candidats en condition d’entretien !
Pendant l’entretien : soyez certains de n’être sûr de rien
« La seule chose dont je suis sûr, c’est que je ne sais rien » – Apologie de Socrate
L’analyse du « non-verbal » pour évaluer le comportement du candidat
Il faut tout d’abord redéfinir la place du non-verbal parmi l’ensemble des outils d’analyse du candidat. Les signes corporels ne doivent pas occuper une place centrale dans l’analyse, mais rester des indices mineurs, pour la simple et bonne raison qu’il est strictement impossible de déduire quelque chose de façon certaine en se basant uniquement sur la gestuelle du candidat. Ainsi, toute affirmation ou toute déduction à partir de signes corporels doivent être produites avec une grande parcimonie.
Dans le non-verbal, il existe un certain nombre d’idées reçues très célèbres qui se retrouvent parfois chez certains professionnels des RH, ou qui sont simplement répétées bien trop souvent dans les formations. Ces idées sont souvent simplistes, et donc séduisantes, car elles donnent l’illusion d’avoir des clés pour comprendre facilement le comportement humain. Il est temps de rétablir la vérité !
- « La communication non-verbale représente 93% de la communication totale »: On commence fort avec l’idée qui est sans nul doute la plus répandue sur le non-verbal : seulement 7% de notre communication passerait par le contenu de nos paroles, et le reste serait non-verbal. Cette idée vient à l’origine de 2 études réalisées par Albert Méhrabian en 1967, qui avaient un tout autre but : étudier l’impact de certains mots sur les émotions pour la première, et évaluer le niveau de sympathie d’une personne en photo en fonction de l’intonation de la voix, pour la seconde étude. Ces études ont été réalisées sur une dizaine de femmes seulement, ce qui est bien insuffisant pour en tirer des conclusions. De plus, Méhrabian lui-même a dénoncé le détournement ainsi fait de ses études. Quoi qu’il en soit, le fait de différencier et de quantifier ainsi le non-verbal et le verbal n’a pas vraiment de sens au final, puisque les deux interagissent ensemble dans la production des messages.
- « Il ne me regarde pas dans les yeux, il me ment » : Apparemment, regarder dans les yeux le recruteur serait primordial pour décrocher un travail. Plusieurs versions de l’idée existent, mais toutes incriminent le regard fuyant comme un signe disqualifiant instantanément le candidat. En réalité, les études sur le sujet montrent que les personnes qui évitent le regard dans les yeux ont simplement tendance à être plus stressées par la personne en face d’elle. C’est également le cas des autres signes que l’on relie souvent à tort au mensonge : clignement des yeux plus fréquents, plus d’agitation dans les gestes, les hésitations dans l’élocution, etc. Tous ces signes sont en réalité des signes révélant du stress. L’erreur est de considérer que tout signe de stress révèle forcément un mensonge, car si nous stressons quand nous mentons, nous ne mentons pas toujours lorsque nous stressons. Or, la situation d’entretien d’embauche peut être une grande source de stress, donc il est tout à fait normal que les candidats en montrent les signes.
- « Lorsqu’il me raconte cette expérience, ses yeux regardent en haut à droite, il fait appel à son imagination, donc il me ment »: Cette idée a très largement été répandue dans les années 1970 par les promoteurs de la Programmation Neuro-Linguistique (PNL). Elle prend son origine dans plusieurs études sur le cerveau qui montrent que chacun des hémisphères du cerveau présentent des spécificités dans le traitement de l’information. Par exemple, l’hémisphère gauche traite plus facilement les mots que l’on entend, tandis que l’hémisphère droit traite plus facilement les mélodies chantées. En revanche, aucune étude n’a réussi à montrer un lien entre la direction du regard et le mensonge.
Au final, que peut-on vraiment tirer du non-verbal en entretien ?
En 2006, deux chercheurs en langage corporel ont analysé plus de 200 études menées sur la détection du mensonge par les indices para-verbaux. Les résultats de cette analyse montrent que même les personnes « formées » à la détection du mensonge n’y parviennent que dans environ 50% des cas. Autrement dit, il est aussi efficace de tirer à pile ou face pour déterminer si la personne ment !
Questionner le candidat de manière poussée serait plus efficace qu’observer sa gestuelle
Beaucoup d’idées sur le non-verbal ne portent que sur un seul et même objectif final : La détection du mensonge. En effet, un des grands rêves des recruteurs serait de pouvoir détecter à coup sûr lorsque le candidat les baratine. Même si les méthodes d’évaluation et de sélection sont de plus en plus perfectionnées, il est toujours possible au candidat de mentir sur n’importe quel élément de son CV, ou sur ses expériences. Comme mentionné précédemment, les quelques signes non-verbaux connus pour être reliés à tort au mensonge sont en réalité reliés au stress. Seulement, il suffit de tomber sur un candidat avec un niveau de stress suffisamment bas lorsqu’il ment pour que ces signaux passent inaperçus. De plus, les informations sont très nombreuses à gérer en entretien, et il est difficile d’être attentifs à ces signaux en plus de mener l’entretien et de rebondir sur ce que vous dit le candidat. Se fier au non-verbal n’est donc au final pas très fiable.
L’alternative à la détection du mensonge résidera davantage dans la stratégie de questionnement que l’on adoptera face au candidat. Si on peut difficilement savoir quand le candidat ment, on peut en revanche rendre la production du mensonge plus difficile. Un seul mot d’ordre dans ce cas : demander des détails ! Plus le candidat en donne, plus des contradictions dans son récit risquent d’apparaître en cas de mensonge, car la « charge cognitive » est trop forte pour le candidat. Il sera alors facile de pointer les contradictions dans son discours. La méthode n’est bien sûr pas infaillible, mais elle reste plus fiable que l’observation du non-verbal.
L’analyse du non-verbal n’est absolument pas à exclure dans la gestion des informations en entretien, mais elle ne doit pas conduire à des conclusions trop hâtives. En réalité, le véritable enjeu du non-verbal, pour les recruteurs, est de réussir à se détacher de ses idées reçues. Beaucoup de nos gestes ont une interprétation culturellement et socialement définie, mais ces définitions ne reflètent pas forcément la réalité.
Au mieux, l’analyse des gestes doit permettre au recruteur de soulever des questionnements, et de détecter les points qu’il faut creuser. Le candidat a soudainement la voix qui tremble quand il parle de cette expérience ? Demandez-lui des détails. Il semble en retrait dès qu’il parle du poste ? Insistez sur ses motivations. En revanche, il reste impossible à cette heure d’obtenir des certitudes sur ce sujet-là : l’humain est bien trop complexe pour être expliqué de façon aussi simpliste !
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