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Work-martyrs : jusqu’où faut-il cautionner l’investissement dans l’entreprise ?

Alors que selon une enquête réalisée par l’institut Think pour Great Place to Work, 17% des salariés se disent potentiellement…

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Alors que selon une enquête réalisée par l’institut Think pour Great Place to Work, 17% des salariés se disent potentiellement en situation de burnout et que 31% d’entre eux affirment être confrontés à ce problème dans leur entourage professionnel, on observe, notamment chez les cadres, une difficulté toujours croissante à respecter la durée du temps passé au travail ou à prendre les congés prévus dans le cadre de la loi, et ce, au risque de mettre en péril l’équilibre vie privée-vie professionnelle.

Pourtant, et contre tout attente, ce phénomène semble directement résulter d’un comportement imputable aux salariés eux-mêmes. Qui n’a pas dans son entourage professionnel des collègues qui se targuent de toujours arriver aux aurores bien avant les autres et/ou de rester tard le soir au point de faire ce que les financiers appellent des nocturnes ? Ces acharnés du travail ne prennent jamais de vacances à moins d’y être « condamnés » par leur management et peinent à quitter leur bureau le soir. Ces personnes, quel que soit leur niveau hiérarchique ou social souffrent toutes, plus ou moins inconsciemment, d’un mal commun, ils sont les work-martyrs ou martyrs du travail en français.

Dans cet article, une plongée dans la spirale hyper-chronophage et annihilatrice sur le plan personnel des work-martyrs !

Les work-martyrs, ces travailleurs en mal de reconnaissance

En 2016, 39% des salariés déclaraient souhaiter être considérés comme des work-martyr par leurs supérieurs hiérarchiques quand dans un même temps 86% d’entre eux affirmaient ne pas vouloir être perçus comme tel par leurs familles.

Être un work-martyr n’apporte pas de réelle plus-value à une carrière.

L’hyper-connectivité galopante incite les employés à ne jamais couper le cordon avec le bureau et la frontière entre vie privée et vie professionnelle n’a jamais été aussi ténue. Aujourd’hui, une grande majorité des cadres n’arrive plus, ou ne souhaite plus, poser l’intégralité de ses congés payés. Une tendance qui non seulement va perdurer mais s’aggraver dans les années à venir.

Stress, manque de confiance en soi, mise en concurrence permanente, besoin de performer à outrance, de se distinguer de la masse des employés, mauvaise organisation ou tout simplement une surcharge de travail plus ou moins ponctuelle sont autant de facteur pouvant faire de vous un work-martyr. Mais être perçu comme tel par son management peut également permettre à un salarié malheureux au travail et mécontent de sa situation professionnelle de tirer la sonnette d’alarme en affichant et en justifiant son état de stress qui serait la résultante non pas d’une présumée déficience personnelle mais bien de facteurs exogènes directement en lien avec la fonction qu’il occupe et sa grande implication doublée d’une conscience professionnelle.

Cependant, être un work-martyr n’est profitable ni sur le plan personnel, ni pour une carrière réussie. Le stress devient omniprésent aussi bien au travail, où le rythme effréné est difficile à tenir, qu’en dehors avec une vie affective perturbée et des moments de repos, pourtant nécessaires, tronqués de façon dramatique au péril de l’équilibre psychologique de l’individu. Des effets pervers peuvent apparaître avec l’installation d’une situation d’une apparente normalité : collaborateurs et managers s’habituent très vite à la non prise de congés et aux longues journées d’un work-martyr, celui-ci sera toujours considéré comme présent et se verra même blâmé dans bien des cas si à la surprise de tous, il vient à poser quelques jours de congés ou à quitter le travail légèrement plus tôt qu’à l’accoutumé pour raisons personnelles ! C’est un véritable cercle vicieux qui s’installe avec au final des employés qui n’osent plus prendre les vacances qui leur sont dues et qui ne se sentent pas soutenus dans leurs efforts. C’est ainsi que congés riment avec culpabilité avec 55% des personnes en situation de work-martyrs qui continuent à travailler pendant leurs vacances contre 31% en moyenne chez les cadres du fait d’une mauvaise perception des attentes de leur employeur qui attend cette forme engagement total pour 49% d’entre eux contre 25% chez les cadres.

Le résultat de tous les sacrifices consentis? Un salaire en moyenne légèrement plus faible que la moyenne et un sentiment de fierté artificiel dans la mesure où toutes les études sont formelles : le temps passé au travail ne présume en rien de la qualité et de la performance d’un salarié.

Ce phénomène touche légèrement plus les femmes (52%) et les célibataires (62%) mais ce sont avant tout les cadres de la génération Y, c’est à dire nés entre 1980 et 2000, qui représentent le gros du contingent comme le prouve une étude GfK KnowledgePanel de 2016 dans laquelle 43% des work-martyrs en étaient issus alors qu’ils ne représentaient que 29% des sondés. Ils sont d’ailleurs 48% à penser qu’il est avantageux pour leur carrière d’être perçus comme des work-martyrs, un chiffre bien au-delà de la moyenne des salariés (39%) et des Baby-boomers (32%). Ils sont d’ailleurs bien plus enclin à faire des reproches à leurs collègues concernant la prise de vacances que leurs ainés (42% contre 24%), un comportement symptomatique d’un manque de sérénité professionnelle et d’une insécurité certaine concernant leur future potentialité ascensionnelle dans un monde où les conflits générationnels sont plus que jamais présents et où chacun doit faire ses preuves, « s’investir pleinement ou risquer le licenciement », faute de quoi, société connaissant un chômage de masse (plus de 5 millions toutes catégories confondues en 2017), l’entreprise ira chercher un autre de ces jeunes talents qui inondent le marché de l’emploi et remplacer sans difficultés les salariés ne faisant pas l’affaire.

Des fourmis créées par un environnement professionnel préjudiciable et un contexte économique défavorable

84% des personnes se définissant elles-mêmes comme des work-martyrs disent ressentir un stress intense sur leur de travail.

Les conditions de travail actuelles ont créé un terreau propice à une aggravation de la tendance

L’évolution du rapport au travail, qui s’introduit matériellement davantage dans la sphère privée par le biais des nouvelles technologies, laisse toujours moins de place et surtout de temps à consacrer aux activités extra-professionnelles. Le surmenage, qui n’est autre qu’une incapacité d’arrêter de penser au travail, est bien souvent accompagné d’un sentiment d’échec mêlé d’une impression d’inutilité de l’effort du fait de réprimandes continuelles pour un travail non effectué ou une performance non suffisante aux yeux d’une hiérarchie qui en demande toujours plus. Aussi, le salarié dans une situation d’urgence permanente se sent obligé d’être disponible mais surtout de le faire voir et savoir. Une maximisation du temps de présence sur son lieu de travail peut lui sembler être une solution.

Cet exubérant dévouement peut par ailleurs s’accompagner d’idées préconçues qui vont agir comme autant de freins à la prise des congés tels qu’une supposée surcharge d’activité ou l’irremplaçabilité du salarié à son poste associée à la crainte de montrer à tous qu’un autre employé peut accomplir ses tâches dans un contexte économique où le taux de chômage atteint des records. C’est ainsi que 17% des salariés travaillant pendant leurs vacances ont le sentiment qu’ils risquent de perdre leur job s’ils n’agissent pas comme tel. Le sentiment de culpabilité vis-à-vis de ses collaborateurs et l’incapacité financière de certains à partir en vacances sont en outre des facteurs à ne pas négliger.

La culture de l’entreprise peut aussi être montrée du doigt dans de très nombreux cas avec une très mauvaise communication autour des politiques RH concernant les droits des salariés en termes entre autre de congés. Des messages contradictoires peuvent parfois être adressés aux employés avec d’une part une mise en avant des effets positifs qu’apportent un break pour la productivité et de l’autre des managers qui vont décourager les employés par des refus, des remontrances, une mise sous pression avec des deadlines serrées ou encore en ne prenant pas de vacances eux-mêmes.

L’état d’esprit des work-martyrs peut se propager au sein d’un service et empoisonner l’environnement professionnel dans lequel évoluent leurs collaborateurs au risque de mettre en péril la productivité, le bien être avec des risques psychosociaux accrus, la cohésion et à terme la pérennité des équipes. Rappelons que le stress au travail a un coût social en constante hausse : de 2 à 3 milliards d’euros annuel, soit 13 à 20% des dépenses liées aux accidents du travail et aux maladies professionnelles de la Sécurité sociale!

Paradoxalement, selon une étude menée par Namely, 20% des salariés seraient prêts à abandonner toute augmentation en échange de davantage de congés payés et 87% placent les politiques RH en lien avec cette problématique au cœur de l’évaluation d’une proposition de poste.

Une déconnexion entre les faits et les attentes des salariés qui sonne comme un avertissement pour la filière RH et toute l’arborescence managériale.

Apprenez à faire la cigale !

37% des actifs utilisent les outils numériques professionnels hors temps de travail selon une étude Eléas de septembre 2016 quand 82% des cadres jugent anxiogène la connexion quasi-permanente qu’imposent leurs activités professionnelles.

La vraie source d’inspiration de Steve Jobs était la méditation

Depuis le 1er janvier 2017, l’application de la loi travail impose une négociation sur le droit à la déconnexion dans toutes les entreprises pourvues d’un délégué syndical. Si aucun accord n’est possible, les sociétés d’au moins 50 salariés sont contraintes de proposer une charte de bonne conduite pour veiller à un usage raisonné des nouveaux outils numériques. Ainsi, des garde-fous sont posés et lorsque son poste le permet, le salarié ne doit plus se voir reproché d’avoir éteint son smartphone ou de ne pas avoir répondu à des sollicitations professionnelles sur quelque canal numérique que ce soit sur son temps libre. Il s’agit là d’une grande avancée en faveur du bien-être et de l’épanouissement aussi bien personnel que professionnel des salariés mais ce n’est encore pas suffisant !

Les vacances permettent de réduire le taux de stress ainsi que la fatigue et les risques psychosociaux tout en accroissant la productivité au retour de l’employé. Elles sont obligatoires et ne doivent être perçues autrement. L’idée, propre à nos cultures occidentales modernes, selon laquelle les individus doivent être constamment occupés pour être utiles doit être combattue. L’efficacité réelle ne peut s’avérer durable que si accompagnée de phases dites de déconnexion où il ne s’agit pas uniquement d’éteindre son smartphone mais bien de passer momentanément à autre chose. C’est pourquoi il est nécessaire que le management encourage les salariés à utiliser leurs soldes de congés payés par quelque moyen que ce soit plutôt que de les reporter ad vitam æternam ou de les monétiser. Pour résorber les craintes des plus inquiets et récalcitrants, une implication dans un processus de transmission temporaire des dossiers en cours pourra rassurer. De plus, il convient de laisser aux salariés toute latitude pour profiter pleinement de leurs vacances, ce qui implique de ne pas les déranger avec des envois de mails ou des appels intempestifs que le hand-over réalisé au préalable aura normalement rendu inutiles.

Enfin, une sensibilisation des salariés au phénomène des work-martyrs, encore très largement méconnu en France, doit être opérée. Les principaux concernés, souvent soucieux du bon fonctionnement de leur entreprise et de leur plan de carrière doivent comprendre que leur comportement est nuisible à tous et surtout contre-productif.

Les fourmis elles aussi ont droit à des vacances, alors attrapez vos calendriers et posez vos congés !

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À propos de l'auteur

Dalale Belhout

Directrice au sein de la Fondation FACE (Fondation Agir Contre l'Exclusion), Dalale dirige le Club des entreprises socialement engagées de Seine-Saint-Denis et sensibilise acteurs privés et publics aux enjeux de recrutement inclusif et de diversité en entreprise. Ancienne Head of Content chez DigitalRecruiters, elle est aujourd'hui ambassadrice du Lab'DR, une communauté d'experts qui partage réflexions et bonnes pratiques sur le blog. Dalale est par ailleurs co-auteur de plusieurs ouvrages dédiés au digital appliqué aux RH, à la marque employeur et au recrutement responsable et éthique, sujets sur lesquels elle intervient régulièrement en tant que conférencière.